PATCHWORK
ELAMINE NESRINE-MOHAMED BEN SOLTANE-VA-JO-WISSEM EL ABED-NAJEH ZARBOUT- LEILA SHILI-NADYA ZARROUGUI.
Une panoplie de jeunes artistes talentueux se regroupe autour d'une exposition collective produisant un PATCHWORK harmonieux.
Wissem BEN HASSINE (né en 1976 à Menzel Témime)
Wissem Ben Hassine se passionne pour la peinture et le dessin dès son enfance.
Il sort diplômé de l’Ecole Supérieure des Beaux Arts de Tunis en 2001 et enseigne l’art du dessin à l’Ecole Supérieure des Arts et Métiers à Kairouan (Tunisie).
D’abord résident au Centre des Arts Vivants de Rades (Tunisie) entre 2005 et 2006, puis à la Cité Internationale des Arts à Paris entre 2007 et 2008, il vit désormais à Paris.
Cet artiste plasticien a également exposé ses œuvres en Allemagne, en Espagne et aux Emirats - Arabes.
« Par des traits qui se propagent en constellations ombrées, l’artiste tunisien Wissem Ben Hassine exprime les profondeurs et la complexité de la nature humaine. Il aborde des thématiques que l’humanité a en partage : l’enfance, la famille, la maternité, l’avenir, l’espace intime. Si ses œuvres résonnent comme un potentiel d’avenir où l’enfant trouve une place de choix, elles présentent aussi une dualité tant par la facture que par les sujets traités. Sa technique principalement par l’usage de l’encre de Chine manifeste une certaine radicalité de l’expression artistique, entre brutalité, sobriété et subtilité. Imprégnant d’eau la toile brute, le dessin se fait précis puis l’encre fuse et se développe dans l’espace sous l’impulsion du geste de l’artiste. En dernier lieu, divers repentis blancs stabilisent ce flux d’énergie et illuminent les personnages dans l’espace. Le corps, souvent féminin est omniprésent car il structure l’espace et le construit. Il s’amalgame parfois pour créer des mondes représentés sous la forme de bulle ou d’œuf, tel un état embryonnaire signe d’une vie future. C’est toute la complexité de la nature humaine qui surgit dans son œuvre, entre douceur et dureté, bonheur et tristesse. Son œuvre a été exposée tant en France qu'à l’étranger. »
Véronique Perriol
Othmane TALEB ( né en 1977)
Architecte et artiste visuel.
Il a étudié l'architecture à l'École d'architecture de Tunis (ENAU).
Etre à la recherche d'un type d'architecture contemporaine de la face. Othmane tend à la fois à peindre un passage visuel à travers les êtres. Préparer le voyage par un ensemble de formes, de couleurs, de nuances de chair, fraîchement "démoulue" et "vierges".
Il s'emploi sur chaque toile autour de la tension entre l'obtention de la qualité sensorielle et être constructif en termes de forme. Plus il fait cela, l'écart entre abstraction et figuration devient intéressant.
Dans le processus de création, des corps et des visages qu'il représente, il essaie d'en extraire une histoire, comme des livres ouverts, l'anatomie profondément graphique. Sur les faces, parfois, nous lisons l'ennui, la tristesse, la provocation, la solitude, la fierté.
" L'insensé ".
Pour garder dans sa mémoire le souvenir de quelques minutes heureuses, il faut chaque jour s'exercer à y penser, chaque jour les glaner, comme ces femmes ramassant l'hiver pour se chauffer un peu de bois mort qu'elles serrent au creux de leur tablier.
S'est-il égaré comme un enfant? dit un autre. Ou bien se cache-t-il quelque part ? A-t-il peur de nous? S'est-il embarqué? A-t-il émigré? – ainsi ils criaient et riaient tous à la fois. L'insensé se précipita au milieu d'eux et les perça de ses regards. « Où est l'humanité ? cria-t-il, je vais vous le dire! Nous l'avons tué – vous et moi! Mais comment avons-nous fait cela? Comment avons-nous pu vider la mer? Qui nous a donné l'éponge pour effacer l'horizon tout entier? Qu'avons-nous fait, de désenchaîner cette terre de son soleil? Vers où roule-t-elle à présent? Vers quoi nous porte son mouvement? Loin de tous les soleils? Ne sommes-nous pas précipités dans une chute continue? Et cela en arrière, de côté, en avant, vers tous les côtés? Est-il encore un haut et un bas? N'errons-nous pas comme à travers un néant infini ?
Ne sentons-nous pas le souffle du vide? Ne fait-il pas plus froid? Ne fait-il pas nuit sans cesse et de plus en plus nuit? N'entendons-nous rien encore du bruit des fossoyeurs qui ont enseveli notre humanité? Ne sentons-nous rien encore de la putréfaction de l'amour?
Comment nous consoler, nous, simples mortels? Ce que le monde avait possédé jusqu'alors de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous nos agissements– qui essuiera ce sang de nos mains? Quelle eau lustrale pourra jamais nous purifier? Quelles solennités expiatoires, quels jeux nous faudra-t-il inventer?
Je dessine mes rêves, enfin, j'essaye.
Nouvelles et projets 2014-2015 :
• Résidence de l'art et de l'exposition "L'indice d'Une suite", organisée par la Nouvelle-Kasbah fondation, Glass Gallery Box. Paris, France. Fevrier 2015.
• Guernica de Picasso, exposition de groupe. 2014.
• célébration Paul Klee, exposition de groupe. 2014.
•" Turbulances ". TUNISIE IMAGO MUNDI par Luciano Benetton Collection "Turbulence".
• collectif d'artistes "Art-Mure" pour les expositions temporaires.
• acquisition de "Maison de Tunisie" fondation à Paris.
Najah ZARBOUT (né en 1982)
Vit et travaille entre Paris et Tunis.
Cursus universitaire :
2011/2012 Docteur en Arts Plastiques et Sciences de l’Art à l’Université de Paris I, Panthéon- Sorbonne, UFR 04. Intitulé de la thèse : "De ce côté du miroir : l’aventure plastique ». (Mention très honorable avec félicitations du jury).
2002/ 2003 Diplôme d’études approfondies en Arts Plastiques (Recherches Fondamentales et Appliquées) de l’Université Paris I Panthéon –Sorbonne, (mention très bien).
2001/ 2002 Octroi d’une bourse nationale pour études de troisième cycle à l’étranger. (Bourse attribué de 2002 à 2006 pour études supérieures en France)
2001/ 2002 Maîtrise en Arts Plastiques de l’Institut Supérieur des Arts et Métiers de Sfax, (majeur de promotion, mention très bien).
1997/ 1998 Baccalauréat scientifique à Sfax.
Parcours artistique :
Création graphique :
- Novembre 2012 : Conception de la pochette et du livret d’Album Samsa « Alem Jdid », et d’un poster pour l’artiste Sana Sassi.
- Juin 2012, Conception graphique de l’affiche, l’invitation et du catalogue de l’exposition collective « Passage(s) du temps », Galerie Michel Journiac.
- Janvier 2011, Conception graphique de l’affiche, de l’invitation de l’exposition collective « Figures et Lieux », Galerie Crous.
- Juin 2008, Conception graphique de l’affiche, de l’invitation de l’exposition collective « Rhizome et autres chemins » à la galerie Crous- Beaux- Arts et au Centre Saint-Charles.
Expositions personnelles :
- Novembre 2008, « Smart dolls » à la galerie Espace K.
- Mai 2008, « Regards et Imaginaires » à la galerie MIE, Paris.
- Mars 2008, « Des Races et des Ailes », coup de cœur du festival « ici et demain » Paris.
- Mars 2007, « De ce côté du miroir » à la galerie Itinerrance, Paris.
- Avril 2006, « Champ de vision II », installations, CUIP, Paris.
- Avril 2005, « Traversée », installation à CUIP, Paris.
Expositions collectives :
- Novembre 2014, « Autoportrait », Ghaya Galerie, Tunis.
- Aout 2014, « Djerbahood », Djerba.
- Juin 2014, « Under Regard », Debbou 52 à Tunis.
- Décembre 2013, « De l’Affranchissement » Monastir.
- Octobre 2013, « Mask», Galerie Hope Contemporary à Tunis.
- Septembre 2013, « De la lenteur avant toute chose », Portrait la Galerie, abcd Art Brut Paris.
- Mai 2013, « Chair », Galerie Hope Contemporary à Tunis.
- Avril 2013, « Hands», Galerie Hope Contemporary à Tunis.
- Janvier 2013, Galerie Hope Contemporary à Tunis.
- Juin 2012, « Passage(s) du temps », Galerie Michel Journiac.
- Juin 2011, « Festival des droits de l'homme et des Cultures du Monde » à L'Hay-les-Roses.
- Juin 2011, « Festival de Insul'Arts » au Grand Parquet.
- Mars 2011, « Libertés » à l'espace Scribe-L'Harmattan.
- Janvier 2011, « Figures et Lieux », Galerie Crous.
- Septembre 2011, « Auto/Portraits », Galerie Jeune Création.
- Janvier 2011, « Checkpoint » à Espace K.
- Décembre 2010, « Alice au pays des Chanot », Centre d'Arts Plastiques Albert Chanot.
- Mai 2009, « Dialogue(s) à l’œuvre » la galerie Crous- Beaux- Arts.
- Mars 2009, « Tunaction » à la galerie Itinerrance..
- Décembre 2008, « Little is beautiful » à la galerie Espace K.
- Juin 2008, « Rhizome et autres chemins » à la galerie Crous- Beaux- Arts et au Centre Saint-Charles.
- Juillet 2007, « Graphology » dans le cadre de Paris Hip-Hop au Palais de Tokyo.
- Mai 2007, « Eloge des différences » à la galerie Crous- Beaux- Arts.
- Mai 2006, « Altérité », installation, CUIP, Paris.
- Mars 2005, « Visages », CUIP, Paris.
Foires et salons Bourses d’études et Prix :
- Mai 2009, « Art féminin », rencontre organisée par « En marge » groupe de chercheur en Arts et histoire de l’art à l’école normale supérieurs.
- Mars 2009, « L’art de la rue », réalisation d’une fresque dans un jardin pédagogique pour enfant à Montry.
- Mai 2008, « Des mots en page » dans la Semaine de la langue et des arts au centre IUFM d’Étiolles.
- Septembre 2007, « Fêtes de l’humain » 2007.
- Juin 2007, « Manifestation artistique » à Senot.
- Juin 2006, « Essertival 06 », Invitée extérieure au estival artistique, Beauvais.
- Novembre 2005, « Foire d’art contemporain MAG » à Montreux en Suisse.
Bourses d’études et Prix :
2008 Grand Prix Arts Plastiques du festival artistique « ICI ET DEMAIN ».
2003/ 2008 Membre fondateur et actif d’A.R.A.C, Atelier de Recherches en Art contemporain à la CIUP. De Mai 2003 à Juin 2008.
Nesrine EL AMINE (né en 1979 à Tunis)
Assistante à l’institut supérieur des beaux arts de Sousse.
Doctorante en théories de l’art à l’Institut supérieur des Beaux arts
de Tunis.
- 2015Participation à l’exposition de la fondation Luciano Benetton à Venise
(commissaire d’exposition Leila Souissi)
- 2014 Participation à l’exposition « Turbulences » au musée Carlo Bilotti à Rome (commissaire d’exposition Leila Souissi)
- DEA Arts Plastiques à La Sorbonne Paris1
- Enseignante d’histoire de l’art, histoire du design et histoire des styles à l’institut supérieur canadien (2009)
- Médiatrice culturelle « culture et expression » au conservatoire national des arts et métiers de Paris sous la direction de Gilles Cartier (2005)
- Médiatrice culturelle d’une exposition de sculptures contemporaines à la résidence de France à La Marsa (organisée par l’ambassade de France en Tunisie et l’IFT)
- Membre de l’union des artistes plasticiens tunisiens
Présentation des oeuvres exposées
Ces objets usés, usagés épuisés qui ont voyagé et appartenu à des gens inconnus portent chacun sa propre histoire. Le voyage est un déplacement vers d’autres territoires...
Ces objets sont ici réunis pour parler d’un vécu universel : le mal de vivre dans un corps contraint et contrarié. Entre drôlerie et extravagance, l’homme se connait et se méconnait devant ces objets qui se dissolvent à mesure qu’on les regarde...
Wissem EL ABED (né en 1977 à Sfax)
L’art du déplacement
par Marie Frétigny
Wissem El Abed est un artiste plasticien tunisien, et il vient de soutenir une thèse de doctorat en Arts Plastiques. Son travail de recherche universitaire exerce une grande influence sur sa production artistique, marquée par une démarche d’investigation rigoureuse. Le thème qu’il a choisi de développer dans sa thèse est la rencontre de l’autre, ou plutôt, le déplacement qu’implique la rencontre de l’altérité. Il se passionne pour toutes les réactions (curiosité, violence, attraction, rejet) qui accompagnent et déterminent la forme de ce déplacement. Ce thème construit une cohérence, celle du sujet, dans toute l’œuvre de W. El Abed qui se compose de dessins, de peintures et d’objets.
Wissem El Abed vient d’un pays fortement concerné par l’émigration. Il a grandi à Sfax, où il a suivi les cours de l’Institut Supérieur des Arts et Métiers. Major de promotion, il a reçu une bourse de troisième cycle pour poursuivre ses études en France. Il obtient alors un master d’Arts Plastiques à l’université de Paris I et s’est inscrit en thèse en 2000. Il a déjà exposé en groupe ou seul, notamment à la galerie Itinérance, et jusqu’en juin 2008, dirigeait avec Najah Zarbout l’Atelier de Recherche en Art Contemporain (A.R.A.C.) à la maison de la Tunisie de la Cité Universitaire à Paris.
En arabe les « zmigris » sont les émigrés, d’après une déformation du mot français. Chez W. El Abed, les zmigris prennent la forme de petits personnages noirs et ailés, qui volent dans le ciel comme une nuée de mauvais augure. Les yeux souffrants de ces personnages nous rappellent qu’ils sont finalement moins une menace pour les terres riches où ils vont se poser que pour eux-mêmes. Dans Zmigris 3, on ne discerne même pas de sol pour accueillir les zmigris, ceux-ci paraissent condamnés à errer perpétuellement entre ciel et terre, sans point de chute réconfortant. En voyant ici un personnage plus grand, accompagné de deux figures plus petites, on ne peut s’empêcher de penser au mythe d’Icare qui trouverait une actualité nouvelle. En effet, dans les pays du Sud, la jeune génération qui aspire au départ va ingénument se faire brûler les ailes, dans l’espoir d’un hypothétique avenir meilleur. Le contraste du volume noir sur le blanc du support, ainsi que le dépouillement de la mise en page font des œuvres de cette série les véhicules d’un discours de dénonciation particulièrement efficace.
Chez W. El Abed, le tragique de certaines situations humaines, loin de l’empêcher, semble plutôt faire naître un certain humour dans la représentation, notamment dans les dessins. Ceux-ci sont réalisés à l’encre sur du papier népalais, un papier particulièrement fragile qui demande beaucoup de minutie dans le tracé du dessin à la plume. Wissem El Abed aime prendre le temps de faire naître les formes petit à petit, et il laisse sa main le guider pour créer ce qu’il appelle des « grosses têtes », ces petits personnages au corps fluet et à la tête énorme et pleine de vide. Ces personnages évoquent la bande dessinée, avec leurs visages très expressifs et leurs attitudes corporelles particulièrement animées.
Dans Charter, trois petits personnages sont dessinés d’un trait qui vient dans la continuité de la ligne du sol. Ces figures représentent des hommes entravés dans leurs déplacements et contrastent fortement avec l’aviateur au dessus de leurs têtes. Ce personnage disproportionné (il maîtrise d’ailleurs un tout petit avion) dispose d’une parfaite liberté de mouvement et paraît ainsi décider du destin des autres. Entre le Nord et le Sud, les distances ne sont pas les mêmes pour tous, que ce soit sur le plan symbolique ou même de l’expérience vécue : alors que certains, insouciants passent la Méditerranée pour profiter de vacances peu onéreuses, d’autres attendent longtemps un voyage périlleux, et parfois se voient contraints de revenir sur des lieux qu’ils ont cherché à quitter à tout prix.
Mondes anciens et nouvelles technologies
W. El Abed est fasciné par les nouvelles technologies en ce qu’elles permettent de reposer la question du déplacement en de nouveaux termes. C’est à travers la peinture, mode d’expression traditionnel s’il en est, qu’il aborde ce terrain : il ne s’agit pas de se laisser fasciner mais bien de penser la façon dont les progrès techniques se conquièrent une place dans nos vies. Internautes représente un café internet traité sur un mode volontairement ludique, avec ses figures à grosses têtes rassurantes réparties dans un espace clairement lisible, ses lignes en arabesques et ses couleurs douces. Or, cette douceur n’est qu’apparente : l’œuvre rend bien compte de l’atmosphère étrange de ces lieux dédiés à la communication où chacun cependant est enfermé dans son propre cercle de liens. Cet aspect est rendu explicite par les casques qui soulignent la courbe des visages, et surtout par la présence insistante des câbles qui tirent des lignes tire-bouchonnées du centre vers la périphérie du tableau.
Les postures des figures procèdent d’une observation fine du comportement des internautes, projetés en imagination vers un ailleurs, mais étrangement immobiles dans la réalité. Enfin les ciseaux blancs, brandis sous cape par un internaute qui fait mine d’être absorbé par le travail de son binôme, fait clairement allusion à la censure. Dans une des expositions de W. El Abed, ces mêmes ciseaux blancs à bouts ronds étaient accrochés, très grands et en carton, à la vitrine de la galerie.
La peinture de Wissem El Abed procède de sa pratique du dessin, dont elle reprend l’iconographie. D’une manière générale, en dépit une mise en page plutôt dépouillée, l’œuvre de cet artiste donne souvent l’impression d’un certain foisonnement. Les dessins et peintures de W. El Abed jouent les uns par rapport aux autres pour former un véritable petit monde indépendant qui nous rappelle le nôtre.
La multiplicité des figures et les lignes tortueuses traduisent la vieille idée stoïcienne selon laquelle les hommes ne peuvent pas s’empêcher de se déplacer, de s’agiter en tous sens. On peut s’émouvoir de ce besoin si humain, mais les implications liées aux mouvements de population sont toutes politiques : W. El Abed défend une position selon laquelle chacun a droit au voyage, au changement, à la perspective d’un recommencement.
Car face à ce désir de changement, il y a tous les obstacles qui empêchent l’homme de voyager. Les objets de Wissem El Abed, en particulier explorent cette dimension. Cap pas bon, reprend le nom du Cap Bon, au Nord-Est de la Tunisie, et qui est une des portes empruntés par les clandestins en route vers l’Europe. L’œuvre est constituée d’un bateau aux formes naïves de cocotte en papier, réalisé avec des emballages de Harissa colorés (de la marque Cap Bon), et presque entièrement coulé dans un bloc de résine d’inclusion transparent : seul le haut de la voilure émerge de ce bloc d’eau figée. L’un ex-voto est d’une ironie plombante.
Bavures et glissements
Les œuvres de W. El Abed laissent souvent leur place aux mots, à l’écriture. Les titres jouent sur plusieurs niveaux de sens, mais au sein de l’œuvre, l’écriture n’est pas réellement déchiffrable et figure plutôt pour sa valeur symbolique ou pour la richesse visuelle de sa calligraphie. Le texte est présent pour poser la question de son interprétation, et dénonce ainsi l’utilisation qu’en font certains comme d’une autorité indiscutable. Dans Dessin 2, l’homme de droite a la tête littéralement farcie de deux lignes écrites en arabe qui lui barrent le front comme deux rides d’inquiétude. L’expression de cet homme n’est pas particulièrement sereine, d’autant qu’il se trouve face à une figure accroupie, la bouche grande ouverte, dans laquelle il semble prêt à envoyer la boule de bowling qu’il tient à la main. On peut faire le rapprochement entre cet envoi violent (on imagine les dents qui culbutent comme des quilles) et les idées sans nuance que certains essaient d’inculquer à des jeunes incapables d’une distance critique suffisante. La référence aux islamistes est transparente : dans une réflexion sur la rencontre de l’altérité, le refus de cette altérité et le repli qu’elle fait naître ont une place de premier ordre.
Parfois, comme dans ce dessin, des accidents se produisent et des taches viennent ajouter leur rythme aléatoire à la composition. Wissem El Abed les interprète comme une expression de mélancolie, une giclure de bile noire.
D’autres taches, sur un oreiller bien rembourré, viennent tracer une géographie brouillée du monde. Contre une cartographie scientifique et objective, l’artiste présente le flou des frontières éprouvé dans l’expérience du déplacement. La bavure évoque aussi la situation qui échappe au contrôle et provoque des conséquences dramatiques. La couleur même des taches, d’un marron rougeâtre, peut rappeler le sang séché, et plus encore si l’on comprend qu’elles sont en fait du café, symbole et enjeu par excellence de la question d’une parité dans le commerce entre le Nord et le Sud.
Sur un sujet grevé par les idéologies et les incompréhensions mutuelles, les petits bonshommes à grosse tête de Wissem El Abed nous offrent une démonstration qui a la légèreté des bulles de savon, sans naïveté ni indulgence.